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Le contexte dans lequel l’expertise au service des représentants des travailleurs s’est déployée en France peut être appréhendé sous de multiples aspects. Quatre, considérés comme déterminants, ont été privilégiés ici. D’abord, l’angle juridique, par lequel l’expertise est née et s’est développée ; ensuite, l’angle syndical, au cœur de la définition des directions qu’elle emprunte ; bien sûr, l’angle socio-organisationnel, en termes de projet et de savoir faire mais aussi en tant qu’activité inscrite dans le cadre d’une profession réglementée ; enfin, l’angle économique et social, qui définit les problématiques auxquelles les travailleurs eux-mêmes sont confrontés. S’y ajoute un éclairage sur quelques moments clé de l’expertise, appréhendés du point de vue de Syndex.

Bernard Billaudot s’appuie sur une grille d’analyse inspirée des apports de l’École de la régulation, dont il est membre, pour présenter l’avènement de la société salariale au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, puis l’épuisement progressif de ce modèle à partir de la fin des années 1960. Jusqu’au « premier choc pétrolier » qui marque la fin du régime d’accumulation fordien dans chaque nation développée et de l’enchainement vertueux de ces processus nationaux à l’échelle internationale.

Dans son analyse de la deuxième période, il part du constat des transformations à l’œuvre depuis la fin des années 1970 (accélération du processus d’internationalisation des échanges, désindustrialisation des nations développées et son cortège d’effets induits…) pour nous proposer une interprétation qui articule deux mouvements conjoints en interaction : d’une part l’expansion de ce qu’il désigne sous le terme de « Mondialisation réellement existante », d’autre part ce qu’il qualifie de basculement d’une domination du monde de production industriel à une domination du monde de production marchand. 

Henri-José Legrand présente d’abord les débats qui ont entouré la genèse de la loi qui, aujourd’hui encore, fournit un cadre original à l’intervention d’experts au service des représentants du personnel. Il rappelle ensuite les quelques décisions qui ont accompagné l’application de la loi jusqu’au début des années 1970, puis la multiplication des contentieux lorsque l’apparition de Syndex suscite une vive opposition du patronat. Il aborde enfin, pour conclure la première période, les modalités d’élaboration des dispositions qui redéfinissent le rôle de l’expert dans le cadre des lois Auroux de 1982.

Après un bref rappel des réticences de l’ordre des experts-comptables à entériner toute la portée des avancées issues des lois Auroux, il retrace ensuite l’histoire du droit des représentants du personnel de se faire assister par un expert dans un certain nombre de circonstances. Il montre ainsi, à travers l’examen des décisions qui entourent la procédure de licenciement collectif, comment jurisprudences et adaptations législatives vont se répondre tout au long de la période. Ce faisant, il retrace les principales étapes qui jalonnent la multiplication des consultations et des missions d’expertise jusqu’au milieu des années 2010.

Pierre Héritier, s’attache d’abord à retracer le paysage syndical des Trente glorieuses en distinguant trois grands moments de « sursauts de l’histoire » : la Libération et la mise en place du programme du Conseil National de la Résistance, les évènements de mai 68 et les années qui suivent immédiatement, enfin, la victoire de François Mitterrand en 1981. Cette séquence s’achève sur l’adoption des lois Auroux, qui donnent plus de moyens, mais pas plus de pouvoirs, aux organisations syndicales dans l’entreprise, là où, précisément, la présence syndicale est mise à mal par d’incessantes restructurations.

La deuxième période s’ouvre sur l’explosion du chômage et l’effondrement des effectifs syndicaux, tant à la CGT qu’à la Cfdt, toutes deux associées au pouvoir en place. A partir de cette date, les syndicats assistent, impuissants, à la « libéralisation des marchés financiers » et au détricotage des outils de la politique industrielle, dont l’évocation même est désormais bannie des discours officiels. S’ouvre alors, pour l’ensemble du monde syndical, le temps de la « bataille de l’emploi », tandis que le patronat entame son combat pour obtenir toujours plus de « flexibilité ». Dans ce contexte nouveau, marqué par la désindustrialisation, c’est finalement le récit de l’effacement de l’influence syndicale que retrace Pierre Héritier.

Après un bref rappel du contexte syndical lors de la mise en place des comités d’entreprise, Michel Capron évoque les grandes étapes de la normalisation comptable qui commence à se déployer après-guerre. Ces outils nouveaux ne donnent pas seulement accès à la « vérité des comptes » de l’entreprise, mais aussi au dévoilement de sa contribution au fonctionnement du système capitaliste. Ce n’est pourtant qu’après les évènements de mai 1968 qu’une nouvelle génération d’experts-comptables, associés à des économistes et des statisticiens, est en mesure de s’emparer de ces outils.

Au début de la deuxième période, le nouveau cadre juridique posé par les lois Auroux bouleverse le paysage d’un milieu professionnel encore en gestation. Michel Capron examine d’abord le cas de Syndex, pionnier sur le marché, et les débats qui entourent la nécessité de professionnaliser les intervenants et l’entreprise qui les emploie. Il se penche ensuite sur l’émergence d’une concurrence qui se traduit d’abord par la création de Sécafi en 1983 puis par l’apparition de nombreux cabinets plus petits. Il aborde enfin la question des relations des cabinets d’expertise-comptable spécialisés avec l’Ordre des experts-comptables, et, plus largement, de leur rapport à la comptabilité. 

Cette partie traite d’évènements marquants pour l’histoire de l’expertise vus plus particulièrement à travers l’histoire de Syndex. Il s’agit d’abord du récit par Yves Doucet de la conception et de la naissance de Syndex, qui révolutionne la pratique de l’expertise au cours de la première période. Puis, Frédéric Bruggeman, Dominique Paucard et Jean-Louis Vayssière évoquent les organisations particulières mises en place pour répondre à deux enjeux qui ont fortement marqué le métier de l’expertise au cours de la deuxième période : les restructurations et la santé et les conditions de travail.

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